Parmi les endroits les plus fascinants qu’il m’ait été donné de voir se trouve un immense parc méconnu où persiste une rare nostalgie de l’ère soviétique. Laissez-moi vous présenter VDNKh.
L’idée initiale était
de transformer un espace légèrement plus vaste que le parc du Mont-Royal dans
la banlieue nord de Moscou en une véritable exposition universelle permanente à
la gloire des nombreuses républiques soviétiques. Furent alors construits,
durant le règne de Staline, une trentaine de pavillons représentant chacun une
nation de l’URSS. De l’Arménie à l’Ouzbékistan, en passant par la Carélie et
l'immanquable, évidemment centrale, Russie, ces pavillons constituent encore
aujourd’hui le coeur historique d’un parc, VDNKh, chacun célébrant l'unicité de
son histoire, de sa culture, de sa gastronomie ou de son art. Ces quelques
bâtiments reflètent comment le Kremlin projetait le rêve soviétique, comment,
il y a 6 décennies, envisageait-on l’union.
Fidèle à son époque, le parc est dominé par une pompeuse architecture (Art nouveau, gothique, souvent néoclassique) aux riches accents soviétiques. L’aménagement est tout aussi fastueux; les somptueuses fontaines se suivent sur de larges avenues piétonnes. VDNKh peut certainement se targuer de son esthétique unique, témoin d’un temps révolu, d’un empire qui n’est plus.
L’environnement du
parc y joue aussi pour quelque chose. Pour confirmer que l’on se trouve bel et
bien au coeur de la vitrine du socialisme, vous trouverez, juste à côté de
l’entrée du parc, le musée russe de l’astronautique qui vante les prouesses de
la nation dans sa course vers l’espace. Sur le piédestal de la longue flèche
métallique qui trône sur le musée, on lit : « Après avoir triomphé de
l'oppression et des ténèbres, nous avons forgé des ailes de feu pour notre pays
et notre siècle! ». Rien de moins! Entre ce Monument des Conquérants de
l'Espace, le brutal hôtel Cosmos et l’ombre de la Tour Ostankino, une des
plus hautes du monde, il est difficile d’y oublier les échos de la guerre
froide.
Une des curiosités
particulièrement frappantes du parc pour le Montréalais que je suis fut de
marcher devant un des symboles les plus forts de l’histoire de ma propre ville
: le pavillon de l’URSS à l’Expo 67. Et oui, ce pavillon de l’exposition
universelle de Montréal existe toujours; après avoir quitté son île Notre-Dame
native, il a été remonté dans son intégralité à VDNKh. Demandez à n’importe
quel visiteur de l’Expo de vous en parler et il saura certainement se remémorer
ce lieu d’une extravagante modernité. En pleine guerre froide, alors que la
Russie était plus inaccessible et mystérieuse que jamais, vous pouviez jaser
avec des communistes en chair et en os, admirer Sputnik ou encore regarder une
projection (en couleur monsieur!) d’une chirurgie au laser! Mon père lui s’en
souvenait très bien en tout cas. Il l’avait visité souvent ce pavillon pendant
l’été 67 accompagné par mon grand-père, que je n’ai jamais connu. Imaginez donc
la scène, lorsque mon père se retrouva, 50 ans plus tard, sur un autre
continent, devant le même édifice de sa jeunesse, troquant son père pour un
fils. C’était un beau moment.
Ce parc trahit aussi une époque de misère, de dictature et d’oppression. Il est impossible d’ignorer le cadre assimilant de cette exposition instiguée par Staline. Vous y verrez sa marque, remarquerez ces grandes mosaïques colorées, si typiques, représentant des scènes de fiers prolétariens à l’oeuvre, ornées, nécessairement, d’étoiles rouges et de faucilles. On peut également y apprécier une oeuvre iconique de l’ère soviétique: L'Ouvrier et la Kolkhozienne. Utilisée comme pavillon de l’URSS à l’exposition universelle de Paris cette fois, en 1937, cette imposante statue défiait alors le pavillon nazi qui lui faisait face, une opposition qui a certainement marqué l’imaginaire européen à l’aube de la Grande Guerre.
Le parc s’est beaucoup
transformé au cours du 20e siècle, comme la Russie d’ailleurs. Boudé et presque
à l’abandon au tournant du siècle, son coeur historique est maintenant inscrit
au patrimoine et le gouvernement investit massivement pour que les Moscovites
se réapproprient les lieux. Les oeuvres décrépies sont restaurées, les avenues
repavées, les devantures revampées. Seul le pavillon de l’Ukraine (ci-bas)
semble être resté à l’abandon, signe des temps (un autre). Des musées modernes
jouxtent maintenant l’allée centrale. On y aménage l’hiver une grande
patinoire, en plus d’y accueillir des événements culturels d’envergure à
l’année. Musées, Restaurants, centres culturels et galeries cohabitent avec de
l’artillerie lourde, une fusée spatiale et un Tupolev supersonique. C’est un
vrai concentré de culture soviétique qui couvre à lui seul la surface de
Monaco. VDNKh était une des raisons pour lesquelles j’ai osé partir à la
conquête de la Russie. Et je n’ai pas été déçu!
Simon-Pierre Poulin
Véritable cascadeur culturel, photographe amateur, juriste à temps partiel et blogueur à ses heures, je ne me contente jamais des sentiers battus. Ma passion pour l’architecture et l’histoire m’amène toujours un peu plus loin. Suivez-moi!