Il nous avait stressées le Marc-Antoine ou Marc-Olivier ou Marc-André je sais plus. Un Marc-quequchose qu’on a rencontré dans un trou au milieu de l’Himalaya. Le gars le plus surexcité que j’ai jamais vu. À beugler sans arrêt, s’agiter tout le temps et provoquer constamment avec un sourire vicieux.
C’est à cause de Marc-quequchose qu’on s’est réveillées à l’aube pour aller à la station de bus de Keylong, un mini riquiqui village dans le nord de l’Inde. Pauvre Keylong, au beau milieu de deux villes assez touristiques, c’est un passage obligé des chercheurs de chakras bénis venus d’occidents pour trouver la paix intérieure. Bref, on était arrivées là en bus en pensant y rester quelques heures pour prendre notre second bus pour Leh. Pas de chance, pendant trois jours, les bus étaient pleins à craquer.
C’est là qu’intervient le Marc-quequchose, en panique, à la station, pour nous dire qu’on était bloqués là ad vitam eternam, qu’il fallait louer un bus privé, et que dans la vie c’était « Un pour tous et tous pour un! ». Un groupe de gentils blancs à dreads et chaussures de montagne s’est ramassé à chercher une solution pour quitter Keylong et le Marc-quequchose, instigateur de l’élan de solidarité, a décidé de courir comme un attardé prendre une des dernières places du bus public, laissant derrière lui des âmes confuses en manque d’oxygène.
Un charmant local a fini par nous trouver un moyen de partir pour Leh, le lendemain, à l’aube. C’était pas très clair son affaire, mais on s’est quand même tous pointés au lieu de rencontre, sauf l’autre traitre qui était parti sans nous. 3 heures à se tourner les pouces à 2 degrés en attendant le bus. Heureusement, je m’étais fait un cadeau de graduation de moi à moi, un appareil photo pas trop pro, pas jetable non plus, juste assez cool pour une incompétente comme moi. (Tout ce que j’ai appris à faire, c’est zoomer un max et appuyer sur le ti bouton). Alors j’ai tourné en rond dans le village à zoomer sur tout ce que je voyais. C’est là que j’ai aperçu un petit monsieur, pas très réveillé, qui marchait les mains dans les poches. J’aurais certainement pas pu aller lui parler, d’abord parce qu’il venait surement de se lever, et que comme toute personne normalement constituée, on aime qu’on nous foute la paix le matin. Ensuite parce j’ai (peut-être faussement) présumé qu’il parlait uniquement hindi, comme pas mal tout Keylong.
J’ai zoomé tellement fort. Tellement longtemps. Je l’ai suivi, doucement, dans sa balade matinale. J’essayais tant bien que mal de le garder dans le cadre de l’appareil, j’étais pas très réveillée non plus. Il regardait constamment le ciel, en fronçant les sourcils. Mais ca avait pas l’air méchant, je voyais plus de la confusion, presque de la peur. Et là, j’imaginais ce qui l’avait mené à se lever si tôt, pour marcher vers les falaises, et regarder là-haut. Je savais rien de lui, mais il n’avait pas conscience tranquille. Quelque chose le tourmentait, le rendait triste. Low battery. Boum, appareil meurt instantanément. Le petit monsieur est déjà trop loin.

Kika Saher
Étudiante nomade qui a fait sa maitrise en droit international pas mal juste parce qu'il y'avait le mot international dedans ;)