Peu importe nos expériences, peu importe ce à quoi on aspire, il existe de ces lieux qui nous attirent comme des aimants. Et c’est plus fort que nous. Lorsqu’elles cherchent un endroit pour s’évader, certaines personnes n’ont qu’à parcourir quelques kilomètres, alors que d’autres doivent traverser la moitié de la planète. Notre boussole personnelle, elle ne pointe pas nécessairement le Nord. Non, elle pointe ce village, cette forêt, cette montagne, ce chalet, ce bar, cette rivière, cette ville, cette auberge, ce pays, ces personnes. Et pour certains, oui, elle pointe littéralement le Nord.

Ma boussole à moi, elle pointe d’abord ma propre ville, ses rues, ses maisons, ses innombrables côtes et escaliers, ses terrasses, ses fortifications, ses portes, son histoire, ses ponts, et surtout, son fleuve. Quand je suis loin de tout ce que je connais, m’évader, ça signifie être avec mes amis et ma famille. À chaque retour à la maison, quel bonheur de regarder apparaître, tout en haut de cet avion, ce qui me semble normalement plutôt banal. Les piscines, les rues, les voitures, l’autoroute Duplessis, le Boulevard de l’aéroport, l’Ancienne-Lorette, quoi, qui se rapproche dangereusement jusqu’à ce qu’on touche le sol. Je ne vous ferai pas l’apologie de Québec, ni du retour à la maison. Mon chez-moi est loin et ces jours-ci et il me manque. Cependant, je garde le moral en pensant à tous ces autres chez-moi que j’ai découverts à travers les années. Je me rappelle qu’il y a à peine quelques mois, j’avais la bougeotte au point d’envisager de ne pas attendre ma date de départ pour m’envoler vers l’inconnu. C’est que, non contente de vivre dans le plus bel endroit du monde, j’ai envie plus souvent qu’autrement de sortir ma boussole et de lui demander quel endroit sur le globe elle me propose de visiter. Étrangement, je retrouve toujours le même endroit, celui sous lequel j’aime à dire qu’on a mis un gros aimant.

Après Québec, ma boussole pointe Wondo Genet. Littéralement, cela signifie la Vallée du paradis en Amharique. J’ai tellement aimé cet endroit que j’en ai presque refusé de le photographier. Je voulais le garder intact, ne pas le déranger, ne pas troubler ses habitants, sa forêt en régénérescence et ses quelques animaux se réappropriant tout doucement leur environnement. Au Québec, lorsque l’on entend parler de l’Éthiopie, ce n’est pas nécessairement pour vanter les charmes touristiques d’un pays qui, mine de rien, a été nommé meilleure destination touristique au monde par le Conseil européen du tourisme et du commerce en 2015. Vous savez, on parle surtout de sécheresse et de famine. On ne parle pas de son histoire vieille de 3 000 ans, de ses châteaux et de ses églises construites à même le roc, de sa culture millénaire, de la force, la fierté et l’humour satirique de ses habitants. Ce n’est pas que je veux vous convaincre d’y aller. C’est juste que je trouve ça triste, parfois, que toute cette société si unique ne soit dépeinte dans nos médias que par des champs ravagés par le soleil et des enfants souffrant de malnutrition. Loin de moi l’idée de dire que ce n’est pas grave, au contraire. Certains de mes amis doivent forcément en souffrir, de cette crise. Mais j’avais envie de vous partager autre chose. Ma Vallée du paradis. 
 


Les richesses de l’Éthiopie : Fasil Ghebbi 17e-18e  siècles (Crédit photo : Anne-Marie Angers)

Wondo Genet, c’est d’abord un village perdu au milieu de collines vertes. Lorsque l’on dépasse le village, en montant la route de terre à bord d’un Bajaj (aussi nommé Tuk-tuk en Asie), on s’approche tranquillement d’un parc pas encore national. Cette aire pas si protégée que ça, la première fois que j’y suis allée, était habitée par une communauté semi-nomade qui avait entrepris de profiter de la fertilité des sols pour transformer la forêt en champ de bananiers, question de survivre et de vivre, éventuellement. L’an dernier, à ma seconde visite, je me sentais un peu perdue. En un an, disparus, les bananiers, disparues, les maisons en toile orange, disparus, ces enfants criant Farenji sur mon passage. Selon mes amis, ces terres ne leur appartenaient, vous savez. Cette forêt était sacrée, les singes, les oiseaux et les autres animaux mystérieux qui avaient fui pouvaient maintenant reprendre leurs droits. Je ne sais pas où sont allés les habitants semi-nomades de Wondo Genet. Je ne sais pas si on les a relocalisés dans un endroit aussi fertile et prospère. J’avais même entrepris une recherche à ce sujet, mais je n’ai pas encore trouvé d’information qui puisse répondre à ma question. 
 


Wondo Genet en 2014 (Crédit photo : Anne-Marie Angers)

Alors, comment trouver un endroit si doux, si paisible, si ressourçant, dans ces conditions? Comment ne pas se demander ce qui est arrivé à toutes ces personnes? Drôle de sentiment contradictoire, que de se baigner dans la source hydrothermale où venait méditer le dernier empereur éthiopien en compagnie de Rastas croyant dur comme fer qu’il était l’incarnation de Dieu, tout en sachant que l’année précédente, des enfants se lavaient dans notre spa naturel pendant que l’on discutait de spiritualité. Qu’y puis-je, si je me sens extraordinairement à ma place, dans cet endroit, alors? Qu’y puis-je, si je sens que chaque fleur, chaque arbre, chaque ruisseau a été placé là exactement pour que je me sente au beau endroit au bon moment? Qu’y puis-je, si chaque discussion, chaque rire, chaque sourire font là-bas, font de moi une meilleure personne? C’est pour ça que je parle d’aimant. Cet endroit merveilleux redeviendra une belle forêt et je trouverai bien la trace de ceux qui avaient décidé d’en faire leur chez-soi. 

 

Retour à la maison : Wondo Genet en 2015 (Crédit photo : Anne-Marie Angers)

Et si vous prévoyez visiter l’Éthiopie, demandez à Alex de vous indiquer le chemin (Simien Image Tour and Travel) : http://www.simienimage.com/ 

Je travaille dans le domaine humanitaire depuis peu et j'adore ce domaine! Il allie la recherche, le contact avec d'autres cultures, mon besoin de donner au suivant et des défis à la hauteur de mes attentes. Il me permet surtout d'explorer le monde afin de savourer ces moments où l'on rencontre des inconnus pour échanger des fou-rires et des confidences.